
Décollage de la brèche du glacier Carré à la Meije ou une matinée sous haute tension, récit
Tout change. Tout le temps, à chaque instants. Le hic, c’est que notre perception peu raffinée nous empêche souvent de le voir. Les humains que nous sommes ne perçoivent finalement pas grand chose de la réalité de la Vie, elle nous échappe en grande partie jusqu’au moment où un cataclysme nous ouvre les yeux. Tel la glace du sérac-immeuble de dix étages qui se liquéfie imperceptiblement, en silence, et qui un beau jour éclate de toute sa masse emportant une partie de montagne vers l’abîme. Sommes nous réellement aveugles ou ne voulons-nous pas voir ? La nature est à l’image de l’homme, partie intégrante de lui-même, ne pas s’y adapter ou mal la connaître, ne pas savoir capter tout ces petits signes qui révèlent l’immuable mouvement et c’est la mort, simplement et naturellement. Voilà notre part d’inconscience et de méconnaissance. Personne n’est à blâmer, nous apprenons tous les jours de nos erreurs même si il semble évident que de gros électrochocs sont souvent nécessaires au réveil. Anyway, comment stigmatiser notre espèce toute puissante (mdr) quand elle ne respecte pas la nature et toutes les formes de vie existantes alors qu’elle ne sait déjà pas se respecter elle-même au quotidien dans les gestes les plus simples de la vie courante ?! « Espèce primitive en voie de développement et à l’avenir incertain » merci Kevin Spacey alias Prot d’avoir prononcé ces paroles si justes dans l’inspirant film K-PAX ! Je le crois.
La scène de ce samedi matin tranquille du mois d’août : Kevin (pas Spacey) et Ju (pas malin) se jettent à plat ventre dans la neige, il fait nuit noire, il est 5h30 du matin, nous sommes au pied d’une muraille de 800m de haut en pleine dislocation. L’effroi ressenti en ces instants a infecté chaque cellule de mon corps et chaque recoin de ma psyché. Conscients si tardivement du piège dans lequel nous nous sommes engouffrés d’un pas si volontaire. Eh oui, je vous présente l’Envie. Elle est mignonne, y succomber est tantôt délicieux, tantôt mortel (ou presque). Pour cette fois, nous serons épargnés. Les missiles s’abattent tout autour de nous, nous effleurent, des fragments de roche s’invitent dans mon sac, mon pantalon mais aucun ne nous touche réellement. Mauvais endroit au mauvais moment ? Pas si sûr… Les signes. Interpellés nous l’avions pourtant été 5 min plus tôt en remontant ce raide glacier jonché de blocs et de poussière de granit. L’épaisseur et l’immensité de la zone sinistrée auraient dû nous faire réagir. Cette non adaptation s’est payée par 25 min d’angoisse, plaqués au rocher du départ de Mitchka, notre projet initial. 25 min à attendre que la montagne se calme et nous laisse le temps de nous enfuir dans la nuit.
Le reste ne fut que plaisir, (ou presque) belles rencontres et émerveillement ! L’effet de contraste est une belle invention, quand on se voit mourir pendant de longues minutes, le simple fait de continuer son chemin terrestre est délicieux…
Nathalie, Frédi et leur petit chasseur aventurier d’enfant (le vrai gardien du refuge, paraît-il !) ont contribué en grande partie à cette super soirée d’avant course. Un accueil et un professionnalisme inégalable sur ce Promontoire ! A peine remis de nos émotions du petit matin, nous décidons de tenter le décollage de la Brèche du glacier Carré en empruntant la voie normale. Un peu de déplacement rapide sur cette longue échine de gneiss va nous aider à digérer cette terrifiante expérience. J’interpelle Frédi en passant à nouveau aux abords du refuge et lui explique notre mésaventure. Le jour se lève, nous constatons qu’un énorme éboulement s’est bel et bien produit pendant la nuit sur le glacier d’attaque des voies de la face sud. Son aspect a totalement changé, il est à moitié recouvert d’une couche grisâtre de roche éclatée. Comme après tout choc émotionnel, nous ressentons le besoin d’exprimer ce que nous avons vécu, cela nous aide à dédramatiser. Les cordées que nous rattrapons sur le parcours de cette belle classique en feront les frais ! Il est encore tôt quand nous remettons les crampons pour la dernière portion de neige/glace qui mène à la brèche. Selon les infos collectées auprès de guides locaux et du gardien, un décollage devrait pouvoir s’improviser sur cette langue blanche accrochée au ciel. Nous ne savons pas à cet instant si ce vol a déjà été réalisé. Le vent du sud, annoncé faible mais forcissant au cours de la journée est déjà bien présent. Des rafales de 30 km/h balaient par moment la pente. Il va falloir jouer précis et tactique pour se mettre en l’air en sécurité. J’explique à Kevin qu’il faut se préparer le plus rapidement possible car l’évolution des conditions est totalement imprévisible. Un décollage n’aurait certainement pas été possible plus tard dans la matinée, le soleil réchauffant au fil des heures plus intensément l’immense paroi que nous surplombons, un surcroit de vent était inévitable et nous aurait vraisemblablement privé de toute tentative.
Kev se retrouve donc prêt à décoller 4 min plus tard, suspentes et mental tendus. Nous ouvrons son aile avec délicatesse afin de rien arracher sur ce sol parsemé de blocs. L’aile au sol est gonflée, aucun nœuds en vue dans le cône de suspentage, quelques secondes d’attente pour le « creux » de vent et le tour sera joué. L’accalmie est là, j’accompagne la montée de sa voile à la main et lâche le tissu pour qu’elle finisse sa course au zénith. C’est gagné, je le vois s’éloigner en hurlant de joie, je ressens un petit pincement. Etrange sensation que de se retrouver seul si subitement. Les pensées qui traversent mon esprit fusent en tout sens. Le grand calculateur mental est en route, il tourne à plein régime. Son objectif est simple, trouver la technique la plus adaptée pour se mettre en l’air sans assistance avec tous les éléments qui s’opposent à cette réalisation. Contre moi, si je fais un compte rapide, nous avons : vent fort, pente inclinée en neige/glace, blocs qui peuvent casser suspentes ou déchirer tissu de ma Skin 16 monosurface, crampons aux pieds qui ne doivent en aucun cas se rapprocher du parapente ou inversement, trajectoire de sortie de décollage assez étroite car sommet de couloir bordé de falaises et pas d’assistance au gonflage… Ca fait beaucoup mais le « avec moi » devrait compenser cela à condition de gérer calmement l’histoire. L’entrainement presque quotidien à la gestion de mon parapente me permet de rester confiant même si je sais qu’il n’y aura qu’un essai possible et que tout gros ratage ne pardonnerait pas. C’est donc dans cet état d’esprit que je me retrouve à mon tour dans les starts, suspentes et esprit tendus ! J’attends l’instant propice, la rafale parfaitement orientée qui me permettra d’amener l’aile au point de décollage avec le maximum de contrôle et sans me faire arracher du sol pour conserver un bon axe. Le temps est compressible en ces instants, l’esprit et le corps sont capables d’enchainer des séquences de gestes précis en une fraction de seconde, c’en est bluffant ! Je suis en l’air, ca y est. Comme dans un rêve. Une petite demi heure me sépare désormais du confort de la vallée, c’est irréel. J’aperçois toutes les cordées qui cheminent en contre bas du glacier, sur cette vertigineuse épine dorsale. Cette vision me fait presque tourner la tête. Je pense que toute personne normalement constituée serait terrorisée en voyant autant d’êtres accrochés à cette montagne faite pour les oiseaux ! Quelle idée de vouloir monter là haut à la force des bras et des jambes ?! Replongez tout cela dans le contexte d’une ouverture, fin du 19ème siècle et et et… et oui tout de même, il fallait oser ! En visionnant les images tournées par la Go pro disposée sur mon casque et surtout grâce au son, je réalise à quel point ces cris de joie mêlés de stress libéré sont risibles mais en disent longs sur l’intensité de ce que l’on peut vivre là haut… Beaucoup de choses changent, c’est vrai, mais pas cà !
Merci à Kevin Peyre pour le partage de cette petite aventure et merci à l’esprit qui règne en Oisans, il est à la fois sauvage et humainement tourné vers le cœur, donc précieux ! Bel outils que cette Skin 16 de Niviuk, ma partenaire privilégiée pour redescendre des montagnes en sécurité! 1,6kg de technologie dédiés à l’aventure! Quoi de mieux?!